Pas de passion sans compassion

Dans notre zèle à communiquer nos convictions, n’oublions pas la compassion

Par Dominique Ourlin

J’admire les gens convaincus et convaincants. Assez convaincus pour vouloir partager leurs découvertes, leurs expériences et leurs certitudes avec ceux qui les entourent. Je pense et j’espère d’ailleurs être de ceux-là. Leurs arguments sont généralement solides et peut-être même « bibliquement corrects ».

Mais attention quand même…

Certes, nos convictions sont précieuses. Elles guident nos choix et nous aident à garder le cap dans les temps difficiles. Elles contribuent au fondement de notre identité, de notre engagement et de notre vie tout entière. Elles ne doivent toutefois pas nous rendre aveugles et sourds face au vécu de ceux qui nous entourent – bien au contraire.

Avoir des convictions fortes, c’est un peu comme avoir un gros moteur sous le capot : il faut d’autant plus savoir maîtriser sa vitesse et avoir de bons freins. Faute de quoi, nous pouvons mettre les autres et nous-mêmes en danger. « Mieux vaut savoir se dominer que de conquérir des villes. » (Proverbes 16.32)

Quand vient le moment de partager ce qui est important pour nous, souvenons-nous d’être attentifs. En effet, nous ne savons pas toujours d’où vient notre interlocuteur. Parler de notre Père céleste touchera une corde sensible dans le cœur de celui qui a connu un père affectueux et sage. Cela en fera vibrer une toute autre si la personne en face de vous a été abusée, maltraitée ou abandonnée dans son enfance par son géniteur… Dire à quelqu’un qu’il doit à tout prix pardonner les torts qu’il a subis est tout à fait justifié et sans aucun doute bien intentionné. Cependant, nous n’avons aucune idée de ce que le pardon peut coûter à quelqu’un qui a subi toute sa vie les moqueries, le dénigrement, le mépris de ses proches et de son entourage, ou pire encore. Le sujet du pardon demandera d’autant plus de tact et de délicatesse, ce qui n’est pas toujours dans notre nature.

Nos convictions et les certitudes qui nous sont chères ne doivent jamais nous faire oublier que chaque personne à qui nous nous adressons a son histoire et ses histoires, ses joies mais aussi ses drames.

Que Dieu nous garde de « mettre notre lampe sous un seau » et d’étouffer les vérités qui sont chères à nos cœurs et que notre génération a besoin d’entendre. Mais n’oublions pas que la route qui nous a conduits à ces convictions a été pour nombre d’entre nous bien longue et sinueuse. Pourquoi en serait-il autrement des autres ?

La passion ne doit pas nous pousser seulement à défendre ou déclarer haut et fort nos convictions. Elle doit aller plus loin – ou plus près. Jusqu’à nous arrêter dans notre élan pour nous mettre d’abord à l’écoute de notre prochain. La passion doit être régulée, canalisée par le respect et l’humilité alors que nous allons à la rencontre de l’autre.

« Voici mon serviteur, que je soutiendrai, mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon esprit sur lui ; il annoncera la justice aux nations. Il ne criera point, il n’élèvera point la voix, et ne la fera point entendre dans les rues. Il ne brisera point le roseau cassé, et il n’éteindra point la mèche qui brûle encore ; il annoncera la justice selon la vérité. » Ésaïe 42.1-3

À vouloir trop avoir raison, on finit souvent par avoir tort

Derrière chaque visage, aussi souriant et accueillant soit-il, se cachent bien plus de souffrances, de blessures non cicatrisées, de douleurs refoulées que nous ne saurions imaginer.

« Voyant la foule, il fut ému de compassion [litt. : “remué dans ses entrailles”] pour elle, parce qu’elle était languissante et abattue, comme des brebis qui n’ont point de berger. » Matthieu 9.36

Dans une foule, il n’y a pas que des anges. On y trouve toutes sortes de gens, des plus recommandables aux plus obscurs, aux plus vils, et au plus meurtris par la vie. Avant même d’ouvrir la bouche, Jésus leur ouvre son cœur et ses entrailles. Et c’est de l’abondance de son cœur rempli de la compassion du Père qu’il va s’adresser à eux. On est à des années-lumière de l’esprit vindicatif et belliqueux dont certains disciples allaient faire preuve face aux Samaritains qui ignoraient Jésus : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer ? » Ben voyons ! Ils ont tout compris… Leur zèle les dévore, mais comme le feu dans la cheminée dévorerait toute la maison. Pour ne pas dire que leur attitude de prétendue justice cache mal leurs préjugés sociaux et raciaux envers les Samaritains qu’ils méprisaient. Et Jésus de leur répondre : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés. » Dans le contexte plus large de l’évangile, cela peut être compris au sens de : « Ne savez-vous donc pas que c’est un esprit de grâce et de miséricorde qui demeure en vous ? Vous ne le connaissez donc pas encore ? » « En effet, le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. » (Luc 9.54-56)

Si nous nous disons chrétiens, la motivation première, le moteur de notre engagement et de notre témoignage chrétien, de nos interactions avec notre prochain se doit d’être l’amour, et donc le respect, la patience, la douceur. « Que votre douceur soit connue de tous les hommes. Revêtez-vous de sentiments de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. Pacifiques, modérés, pleins de douceur envers tous les hommes. Toujours prêts à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. » (Philippiens 4.5 ; Colossiens 3.12 ; Tite 3.2 ; 1 Pierre 3.15)

Chaque fois que nous nous lançons dans une argumentation sans fin, dans un débat hostile et tendu qui ne peut laisser qu’un arrière-goût aigre dans les cœurs, nous nous discréditons et perdons le droit d’être écoutés. C’est aussi simple que cela.

« Tous ces petits gestes de compassion et d’amour qui tomberont dans l’oubli constituent les plus grands moments de la vie d’un homme. » William Wordsworth

« Celui qui souffre a droit à la compassion de son ami, même quand il abandonnerait la crainte du Tout-Puissant. » Job 6.14

Nos convictions doivent être des instruments, des outils pour bénir, aider, accompagner, et non des armes pour combattre et dominer les autres. « Martelant leurs épées, ils forgeront des socs pour leurs charrues, et, de leurs lances, ils feront des faucilles » (Ésaïe 2.4, version Bible du Semeur). Nous faisons trop souvent l’inverse.

Dieu n’a pas besoin d’avocats, de défenseurs, de gardes du corps. Il nous appelle plutôt à être ambassadeurs, témoins et serviteurs de son Royaume. C’est une tout autre approche. Une autre attitude qui est bien plus en mesure d’ouvrir les cœurs et les oreilles que les arguments les plus percutants et affutés.

Lors de l’arrestation de Jésus, il nous est dit que Pierre « frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l’oreille droite. Mais Jésus, prenant la parole, dit : Laissez, arrêtez ! Et, ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit » (Luc 22.50-51). S’il peut nous arriver de devoir trancher, ne soyons pas trop… tranchants. Jésus ne l’était pas. Nous ne sommes pas appelés à arracher les oreilles mais plutôt à les guérir et à les gagner.

Nous sommes plus enclins à saisir le marteau du juge que le scalpel du chirurgien. Il est vrai que ce dernier demande plus de doigté et de discernement. Nous ne pouvons nous permettre de nous comporter comme un colporteur qui mettrait le pied dans la porte pour imposer sa marchandise. Notre passion pour la vérité nous pousse parfois à piétiner les platebandes de notre prochain, pour ne pas dire de celles de sa conscience, au nom de la vérité. Mais la vérité doit être apportée dans l’amour et ne s’impose pas par la violence, que ce soit physique ou verbale.

« Ce n’est pas de sympathie ou de pitié qu’ont besoin les pauvres, mais d’amour, et de compassion. » Mère Teresa

Quand la science constate ce que l’évidence montre déjà…

Des chercheurs français en neuroscience sont parvenus à observer des mécanismes cérébraux qui font que les comportements emphatiques de l’entourage d’une personne souffrante peuvent soulager la douleur ressentie. « La reconnaissance de la souffrance, l’empathie, peut diminuer la douleur », déclare Camille Fauchon, chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. La diminution de la douleur ressentie peut être de l’ordre de 12 %… « C’est tout à fait significatif : certains médicaments ne font pas mieux », ajoute-t-il[1].

« Celui qui parle à la légère blesse comme une épée, tandis que la langue des sages apporte la guérison. » (Proverbes 12.18)

La vérité peut guérir, apaiser, rassurer, réconcilier, pour autant qu’elle soit partagée dans une authentique compassion. Vérité doit rimer dans nos vies avec humilité et sensibilité. L’amour compatissant sera toujours le plus percutant et persuasif des arguments. Ne l’oublions pas.

Dominique Ourlin est pasteur au Québec depuis plus de 18 ans, avec son épouse Candy. Il est aussi l’auteur de deux livres, disponibles sur PainSurLesEaux.com.

 

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[1] Radio-Canada. La signature cérébrale de l’empathie contre la douleur observée, [En ligne], 22 juillet 2019, [ici.radio-canada.ca/nouvelle/1231897/empathie-douleur-cerveau-mecanismes], consulté le 26 juillet 2019.